Les précurseurs
Le crédit mutuel est né en Allemagne, plus précisément en Rhénanie, dans la deuxième moitié du 19ème siècle.
Son père fondateur est Frédéric-Guillaume Raiffeisen (1818-1888).
Il a posé les principes qui serviront de base au fonctionnement du crédit mutuel tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Ses principes n'ont pas été élaborés dans l'abstrait. Ils sont le fruit d'une lente maturation, d'une longue expérience de quinze à vingt années menée avec beaucoup de foi et de persévérance.
Ce qui est remarquable, c'est qu'à la mort de Raiffeisen toutes les structures de la banque mutualiste sont mises en place et, déjà le Crédit Mutuel commence à s'implanter dans d'autres pays.
Mais l'action de Raiffeisen n'est pas un phénomène isolé. Pour bien comprendre, il faut se replacer dans le contexte de l'époque, à savoir la révolution industrielle et le vaste mouvement d'idées sociales qui se développe alors en Europe.
La révolution industrielle
Cette révolution industrielle entraîne des créations d'usines, des concentrations urbaines, la formation d'une classe ouvrière, ne bénéficiant pas de protection sociale.
Au milieu du 19ème siècle l'Europe connaît les dernières véritables famines.
C'est en 1846-1847 notamment que ces famines provoquent une émigration massive de populations rurales et mêmes urbaines provenant d'Europe centrale, de Scandinavie, d'Irlande, émigration qui se dirige vers les Etats-Unis.
Les paysans sont la proie des usuriers, véritable fléau de l'époque. En effet, la banque classique, qui commence alors à se développer n'est tournée que vers les entreprises, où ses activités s'exercent sous forme de financement des investissements, de prêts à court terme ou de mobilisation d'effets de commerce. La banque classique n'est pas faite pour répondre aux besoins des individus, et notamment des plus malheureux d'entre eux.
Les origines de Raiffeisen
Pour bien comprendre Raiffeisen il faut savoir que sa famille, d'origine modeste, fut fortement marquée par la religion et le sens du bien public. Dés l'âge de 15 ans Raiffeisen est obligé de s'engager comme journalier et de travailler chez les paysans pour aider sa mère. C'est dans ses circonstances qu'il mesure les ravages provoqués par l'usure.
A 17 ans, en 1938, il rentre dans une école militaire d'artillerie. Mais vers 1843, sa vue se met à baisser. Ne pouvant poursuivre sa carrière militaire, il est alors admis dans le corps civil des fonctionnaires du gouvernement royal prussien à Coblence. C'est ainsi qu'en 1845, à 27 ans, il est nommé bourgmestre du district de Weyerbusch.
Les premières expériences
A peine rentré en fonction, Raiffeisen se trouve aux prises avec la disette des années 1846-1847. Pour y faire face, en 1847, il crée à Weyerbusch l'association pour le pain, qui construit un fournil coopératif communal et procède à ces achats de semences pour les paysans. Afin de procéder à ces achats, la commune, à la demande de Raiffeisen, fait un emprunt en hypothéquant ses forêts.
L'action de Raiffeisen lui vaut une certaine popularité, même si dans un premier temps, elle suscite quelques craintes de la part de l'administration, du fait de ses audaces.
En avril 1848, Raiffeisen est nommé bourgmestre du district de Flammersfeld, au sud de Weyerbusch. C'est un district plus important puisqu'il compte 33 communes. Il y arrive, précédé de sa réputation. Il a 30 ans. A Flammersfeld, il constate une fois de plus les méfaits de l'usure et la gravité de l'endettement des paysans.
Et, il arrive souvent que de gros propriétaires mettent du bétail en location chez les paysans. Ces locations sont acceptées par les paysans qui en attendent un complément de revenus. Mais il suffit que l'année soit mauvaise ou que la maladie frappe le bétail pour que le paysan ne puisse payer à son créancier le prix de la location.
C'est alors que le créancier exige une hypothèque sur les biens des paysans. Pour peu que la situation s'aggrave, l'usurier fait valoir ses garanties au moment précis où la victime ne peut se libérer de ses dettes.
Le paysan est alors forcé de vendre son bien par adjudication. Or, il se trouve généralement que l'usurier est seul à s'enrichir lors de la vente et peut donc emporter le bien à très bas prix. Ensuite, il ne reste plus au paysan, privé de sa propriété, qu'à devenir journalier et donc à se prolétariser.
Raiffeisen indigné de cette situation, va chercher des remèdes. Il voit que le paysan s'engage dans ce dangereux processus à partir du moment où il accepte de prendre du bétail en location. Les revenus de l'exploitation sont peu à peu absorbés par des intérêts usuraires. Le paysan commence à vendre son bétail puis hypothèque le reste de ses biens.
Raiffeisen a donc l'idée de créer une association qui achèterait le bétail nécessaire et qui pourrait ensuite le céder aux exploitants sur plusieurs années et à un taux modéré.
On voit donc déjà apparaître la notion d'association, et de prêt à un taux raisonnable, afin de permettre l'acquisition du bétail pour en éviter la location. Mais pour cela il fallait de l'argent. Et Raiffeisen a l'idée de s'adresser aux personnes les plus aisées de Flammersfeld, en faisant appel à leurs sentiments de charité chrétienne.
Raiffeisen d'ailleurs ne leur demande pas de l'argent mais simplement une caution. En 1849, il crée donc la société de secours aux agriculteurs impécunieux de Raiffeisen. A force de conviction, il parvient à recruter 60 personnes qui garantissent, par leur caution, que le capital emprunté sera remboursé par les débiteurs (c'est à dire les paysans) sur lesquels l'association garde un droit de gage.
On lit dans l'article 3 des statuts de cette association que "tous les membres s'engagent égalitairement mais solidairement sur leur fortune à l'égard des obligations et garanties assumées par l'association". Ainsi la caution couvrait largement le capital que Raiffeisen allait solliciter. Pour la première fois, on voit apparaître l'idée de solidarité et de responsabilité illimitée des membres d'une association.
Fort de ces cautions, Raiffeisen trouve de l'argent à Cologne auprès d'un banquier. L'association crée le 1er décembre 1849 peut, dès 1850, acheter plus de 70 vaches qui sont vendues aux paysans. Le conseil et les membres de l'association sont bénévoles, et seul le caissier- comptable (qui était l'instituteur de Flammersfeld ) était rétribué pour son dévouement, par une indemnité fixée à l'annuellement, en fonction des résultats.
Dans une deuxième phase, la société de secours offre une rémunération sur les dépôts, ce qui provoque rapidement un afflux de ressources.
Enfin, dans une troisième phase, la société n'achète plus elle-même le bétail, mais prête de l'argent aux paysans qui achètent directement sur les marchés.
On voit, dés cette époque, certains principes du Crédit Mutuel sont déjà posés :
- la responsabilité limitée des sociétaires ;
- le bénévolat des administrateurs ;
- la circonscription restreinte sur le plan géographique.
Cependant, Raiffeisen a des difficultés à faire reconnaître son association comme institution d'épargne officielle.
Le perfectionnement du système Raiffeisen
Raiffeisen est un bâtisseur : tout en créant la première caisse de secours mutuel, il construit la route qu'il avait entamée lorsqu'il était à Heddesdorf, où il est nommé maire.
Heddesdorf se trouve à proximité de Neuwied. On y trouve davantage d'industries, de petits propriétaires. C'est une région de manufacture, le milieu y est différent du milieu rural que Raiffeisen a connu jusqu'alors. Sitôt arrivé, Raiffeisen crée l'association charitable d'Heddesdorf avec une soixantaine d'habitants aisés. Il reprend les idées mises en place à Flammersfeld.
Au bout de 8 ans d'existence de cette association, et bien qu'elle fonctionne sans sinistre notable, Raiffeisen s'aperçoit que l'enthousiasme de ses membres faiblit. Raiffeisen cherche le moyen de susciter chez chaque membre un intérêt plus vif pour l'association. Mais il se refuse à ce que cet intérêt soit motivé par une perspective de profit.
Il a alors l'idée de demander aux débiteurs de devenir membres de l'association, et donc de lier les débiteurs et les créanciers. Désormais, les uns et les autres ont intérêt à ce que l'association soit prospère.
Déjà d'autres associations de Crédit Mutuel se fondent dans des communes voisines.
En 1863, Raiffeisen perd sa femme et sa vue baisse de plus en plus.
En 1865, il est reconnu inapte à la poursuite de ses fonctions administratives, en raison de sa vue. Il a 47 ans. Il prend une retraite anticipée, malheureusement très modeste.
Il achète alors une petite manufacture de cigares à Neuwied. Il emprunte, puis il la vend 5 ans après pour créer un commerce de vins. Ce nouveau métier l'amène à chercher les moyens de briser la toute puissance des intermédiaires entre les viticulteurs et les consommateurs. Il est alors très efficacement aidé par sa fille Amélie, qui l'assiste dans sa tâche.
Son commerce prospère et il a le loisir d'entreprendre des tournées de conférences sur le Crédit Mutuel en Hesse et en Westphalie.
Raiffeisen sentant la nécessité de mettre par écrit ses réflexions, rédige un ouvrage intitulé "Les caisses de Crédit Mutuel comme moyen de vaincre la misère des populations rurales, des artisans et des ouvriers des villes".
Dans cet ouvrage, on assiste à la mutation décisive de l'œuvre de bienfaisance en véritable association d'entraide coopérative.
Beaucoup de gens, qui prennent alors connaissance des idées de Raiffeisen, s'enthousiasment pour elles et considèrent qu'il y a là un moyen de résoudre le problème du crédit à l'agriculture.
Le commerce de vins de Raiffeisen étant plus prospère, il décide maintenant d'aider les petits vignerons. Ceux-ci vendent leurs raisins à des marchands et ne sont donc pas maîtres de leur prix de vente, puisque les acheteurs dictent leur prix.
Pour leur venir en aide, en 1869, Raiffeisen crée une coopérative vinicole. Puis il cesse le commerce des vins. Il acquiert une petite imprimerie. Il aide à créer des coopératives laitières, d'abord dans la province de Schleswig-Holstein. Il voyage beaucoup et reçoit un très abondant courrier.
Partout, des prêtes catholiques et des pasteurs protestants collaborent fraternellement dans la diffusion de ses institutions et de sa pensée. En Allemagne, son système associatif s'étend, et les premières caisses de Crédit Mutuel se créent en Bavière.
L'amélioration du système
Raiffeisen : la création d'un deuxième puis d'un troisième degré
En effet sensible aux critiques sur le problème de sécurité des caisses, Raiffeisen examine leur situation et s'aperçoit que les caisses mutuelles les plus anciennes ont souvent des fonds importants, parce que rémunérés, elles ne peuvent prêter. Par contre, les caisses nouvellement créées ont plus de demandes de prêts qu'elles ne peuvent accorder.
Raiffeisen pense donc qu'il faudrait créer une caisse du second degré pour assurer la compensation entre les caisses locales. Les actionnaires de cette caisse du second degré seraient les caisses locales elles-mêmes.
C'est 1869, à Neuwied, il prend la décision de fonder une caisse du second degré pour exercer la compensation et la gestion des excédents de dépôts. Au même moment, d'autres caisses du second degré se créent pour la Hesse et la Westphalie.
Quelques années plus tard, en 1874, il a enfin l'idée de créer un troisième degré financier : une caisse centrale de prêt à l'agriculture, qui est fondée à Neuwied, cette année là.
A cette date, existent déjà plus de 100 caisses de Crédit Mutuel en Allemagne.
Raiffeisen sent bien le besoin de créer un organisme de contrôle, de conseil et de représentation. C'est ainsi qu'en 1877, à Neuwied toujours, il fonde une fédération pour la Rhénanie. 200 caisses y adhèrent.
Raiffeisen, toujours aidé par sa fille Amélie, acquiert alors une très grande réputation. Ses idées se propagent en Autriche, en Suisse, en France, en Belgique et en Hollande.
A sa mort, le 11 mars 1888, à 70 ans, on peut considérer qu'il a tout créé du Crédit Mutuel : le principe de fonctionnement des caisses locales, les 3 degrés, il a même joué un rôle essentiel dans l'essor de la coopérative agricole en Allemagne.
Aujourd'hui, à travers le monde les mouvements coopératifs se réclamant de Raiffeisen sont innombrables. On peut estimer que 330 000 coopératives (agricoles ou de crédit) se réclament de ses idées dans une centaine de pays.
Ces coopératives regroupent environ 150 millions de membres et le succès qu'elles connaissent notamment dans le tiers monde prouve que le système inventé par Raiffeisen est toujours d'actualité.
Olivier VIAUD (Association VAL)
|